Loi martiale en France : Un point sur cette mesure exceptionnelle

11 octobre 2025

Contrôle de police à Paris avec bâtiments haussmanniens

Le mot « martial » résonne rarement dans les débats politiques français. Pourtant, il survit dans l’ombre des anciens textes, vestige d’une époque où l’ordre public pouvait, en théorie, basculer sous la coupe de l’armée. Aujourd’hui, la France n’a pas inscrit la loi martiale dans sa Constitution, même si des mécanismes d’exception existent encore dans notre arsenal juridique. Le Code de la défense en propose une version édulcorée, jamais nommée ainsi, mais qui continue de hanter l’imaginaire collectif.

Du côté de la Corée du Sud, le scénario est tout autre. Là-bas, la loi martiale a été appliquée à plusieurs reprises au XXe siècle. Les deux pays n’ont donc pas la même histoire, ni les mêmes réflexes face à l’exception. Leur rapport à la loi martiale, qu’il s’agisse de dispositifs ou de conséquences, mérite d’être comparé sans raccourci.

La loi martiale : définition, origines et cadre juridique en France

En France, la loi martiale suscite bien des fantasmes mais répond à une logique juridique moins spectaculaire qu’on pourrait le croire. À la différence de la martial law anglo-saxonne, la France n’a jamais gravé ce régime dans ses lois modernes. Le terme surgit pourtant à chaque période de grand trouble, première guerre mondiale, seconde guerre mondiale, ou lors de crises extrêmes. Mais dans le texte, la Constitution reste muette : pas de mention directe de la loi martiale.

Le mécanisme le plus proche est celui de l’état de siège. Ce régime, prévu par la loi constitutionnelle du 3 avril 1878 et par les articles 36 et 16 de la Constitution, place, le temps d’une crise, l’armée en position de force. Sa mise en œuvre : décision du Conseil des ministres, puis validation du Parlement si la mesure s’éternise au-delà de douze jours. Une fois l’état de siège déclaré, l’autorité militaire récupère des pouvoirs centraux : maintien de l’ordre, contrôle des perquisitions, assignations à résidence. Certains crimes et délits ne passent plus devant les tribunaux ordinaires mais devant des conseils de guerre, rétablissant ainsi une justice d’exception.

Voici les principales caractéristiques de ce régime d’exception :

  • Proclamation de l’état de siège : acte politique fort, réservé à des situations extrêmes comme la guerre ou un péril majeur.
  • Transfert de compétences : l’armée prend en main l’ordre public et une partie de la justice pénale pour répondre à des menaces d’envergure nationale.

Le terme « loi martiale » n’est plus qu’un souvenir dans les textes anciens, remplacé par la notion d’état de siège. Il ne faut pas confondre ce dernier avec l’état d’urgence, beaucoup plus fréquemment utilisé sous la Ve République. L’état d’urgence renforce les pouvoirs de police et de l’administration, mais laisse l’autorité civile et judiciaire intacte. Si la France s’est dotée de ces outils, c’est toujours avec une retenue, une volonté de protéger le fragile équilibre entre sécurité collective et libertés individuelles.

Peut-on instaurer la loi martiale aujourd’hui ? Analyse des possibilités et des limites juridiques

La perspective de voir la loi martiale s’imposer en France fait frémir, mais le droit français ne donne pas carte blanche à l’exécutif. La Constitution ne prévoit pas la proclamation de la loi martiale telle qu’on l’entend outre-Manche ou outre-Atlantique. La dernière configuration juridique qui s’en rapproche, c’est l’état de siège, régi par l’article 36 de la Constitution. Impossible, donc, pour un gouvernement de décréter la loi martiale sur simple humeur du jour.

En pratique, l’état de siège pourrait toujours être déclaré, mais la procédure est verrouillée : décision du Conseil des ministres, puis contrôle parlementaire si la situation se prolonge. Les pouvoirs civils passent alors sous une tutelle partielle de l’armée, mais la justice ordinaire ne disparaît pas totalement : seuls certains crimes sont transférés aux juridictions militaires ou aux conseils de guerre. L’état d’urgence, quant à lui, reste la voie privilégiée depuis plusieurs décennies : il donne à l’administration des moyens élargis, sans jamais remettre les clés du pays aux militaires.

Le Conseil constitutionnel veille au grain. Pour qu’un état de siège soit déclaré, il faut une menace exceptionnelle : guerre ou insurrection armée en cours. La notion de « loi martiale » n’existe plus dans la jurisprudence, ni dans les textes récents. Il est donc impossible, à ce jour, d’imaginer une bascule vers un régime martial sans passer par l’ensemble des filtres institutionnels prévus par la République.

France et Corée du Sud : deux approches face à l’état d’exception

Comparer la loi martiale en France et en Corée du Sud, c’est mettre en lumière deux traditions, deux philosophies du pouvoir. En France, l’état de siège est un héritage de la République, marqué par la méfiance envers la domination militaire sur les affaires civiles. Certes, la constitution prévoit ce régime d’exception, mais son usage reste rarissime et extrêmement encadré. La dernière fois qu’il a été activé ? Pendant la Seconde Guerre mondiale. Depuis, l’état d’urgence a pris le relais, beaucoup moins radical : la police et l’administration restent aux commandes, l’armée reste en retrait.

En Corée du Sud, la martial law fut longtemps un levier politique à part entière. Au XXe siècle, le gouvernement a plusieurs fois suspendu l’ordre démocratique, transféré le pouvoir à l’armée, limité la liberté de la presse et restreint l’action du Parlement. Résultat : une société placée sous contrôle, une justice militaire omniprésente, et des institutions démocratiques mises à l’écart.

Quelques points clés pour saisir la différence :

  • France : usage exceptionnel, procédure constitutionnelle stricte, maintien d’un socle de droits fondamentaux.
  • Corée du Sud : recours fréquent jusqu’aux années 1980, suspension durable de la démocratie, société militarisée par décret.

Le contraste saute aux yeux. La France s’est construite sur la protection obstinée des libertés publiques, même sous tension. La Corée du Sud, au contraire, a longtemps privilégié l’ordre au détriment du débat démocratique, avant d’évoluer vers un modèle plus ouvert. Dans les deux cas, la notion de péril imminent justifie l’exception, mais la façon de l’appliquer raconte deux histoires très différentes.

Place de la Concorde vide avec barrières et monuments célèbres

Quelles conséquences concrètes pour la société et les libertés individuelles ?

Quand le régime bascule et que la loi martiale s’impose, la société encaisse un choc. L’autorité militaire prend le dessus, l’administration civile recule. Ce déplacement du pouvoir modifie la justice, la vie quotidienne, le rapport à la liberté. Circulation limitée, couvre-feux, contrôles renforcés : la mobilité est immédiatement touchée, et chaque déplacement devient une faveur à obtenir. La liberté de la presse, elle, se rétracte : censure, surveillance, contrôle des médias, réduction drastique de la parole indépendante.

Les droits fondamentaux s’effacent derrière la nécessité de rétablir l’ordre. Les tribunaux civils cèdent la place aux conseils de guerre. Le code militaire s’impose, et la justice devient plus rapide, moins soucieuse des garanties pour la défense.

Voici les effets les plus visibles de ce régime d’exception :

  • Libertés individuelles mises entre parenthèses : rassemblements interdits, perquisitions facilitées, correspondances surveillées.
  • Violence légale accrue : l’armée peut employer la force dans l’espace public, et la limite entre maintien de l’ordre et usage disproportionné s’estompe.
  • Légalité et contrôle démocratique en retrait : le Parlement est relégué à l’arrière-plan, le contrôle judiciaire s’affaiblit, la légitimité du pouvoir devient plus fragile.

L’état de siège transforme la frontière entre sécurité et liberté. La société avance alors sur un fil, suspendue à un régime d’exception qui, s’il venait à durer, finirait par fissurer l’État de droit et éroder la confiance dans les institutions. Le retour à la normale n’est jamais garanti, et le souvenir des droits perdus peut hanter longtemps une société exposée à la tentation de l’ordre absolu.

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